L’arbre dans la ville

La mairie de Rodez a entrepris de grands projets de rénovation du centre-ville. A partir du mois de juin 2019, la Place de la Cité sera entièrement refondée, notamment par un tapis de pierre d’un seul tenant. Les travaux risquent cependant d’abîmer les douze tilleuls couvrant cette place et leur système racinaire. Ils seront donc détruits pour être remplacés. Il s’agit pourtant de la dernière place publique ombragée du centre-ville de Rodez. Pourquoi les arbres semblent-ils si souvent les ennemis des municipalités ?

Le maire de Rodez se prend pour un bûcheron.

Nous comprenons fort bien le besoin impétueux du maire de refaire le centre-ville à un an des élections municipales, c’est une figure imposée pour qui veut se faire réélire. Mais couper des (grands) arbres pour en replanter (de petits), est-ce une illustration méticuleuse de notre société libérale qui détruit pour continuer à consommer (à l’instar des produits en obsolescence programmée, des dates de péremption sous-estimées ou des objets jetables…) ou une ignorance complète des avantages d’une ville végétalisée ? Vous pensez que l’on exagère ? La variété d’arbres proposée en remplacement des tilleuls, d’après le projet consulté en mairie, est le Sophora Japonica. Sa taille adulte sera atteinte entre quinze ou vingt ans (moment où l’on peut espérer un ombrage similaire à aujourd’hui), date à laquelle il faudra refaire les travaux de la Place de la Cité, puisque la plantation de Sophora Japonica est déconseillée à proximité des surfaces minéralisées à cause de ses puissantes racines.* Un nouveau cycle de rénovation-abattage-replantage démarrera alors.

L’arbre est pourtant l’emblème le plus visible de la nature urbaine. A l’heure des débats pour s’adapter aux bouleversements climatiques, la place de la nature en ville a un rôle plus concret qu’une simple ornementation malléable selon le goût esthétique des équipes municipales de passage.

L’arbre est un puits de carbone. Il peut absorber cent-vingt kilos de CO2 durant sa vie. Il fixe les particules fines, vingt kilos par an qui n’iront pas dans les poumons des citadins. C’est également un climatiseur. Il fait varier l’humidité autour de lui par processus d’évaporation. Il réfléchit ou absorbe les rayons lumineux et permet d’éviter ainsi les îlots de chaleur. En hiver l’arbre sert de paravent et diminue l’impact des vents froids. Ces qualités se mesurent dans les dépenses d’énergie des habitations construites à proximité d’arbres. La facture d’électricité liée à la climatisation peut baisser de 15 % en été, les factures de chauffage en hivers peuvent baisser de 10 %. **

Au delà des aspects économiques, l’arbre urbain possède d’autres vertus. C’est d’abord un abri pour la faune urbaine. La verdure, le chant des oiseaux, la présence des flâneurs recherchant l’ombre et la tranquillité font également baisser l’anxiété des citadins. Les études sur la santé physique et morale des habitants de quartiers dotés d’espaces verts remarquent toutes des apports bénéfiques loin d’être anecdotiques.*** Un citadin moins stressé est moins agressif, et un citadin moins agressif contribue à la pacification sociale de son quartier, à la baisse du sentiment d’insécurité.

Il est donc idiot d’abattre des arbres dans nos villes. L’équation que ne manquera pas d’avancer la mairie est idiote aussi : pour un arbre coupé un arbre serait replanté, si ce dernier tient plus du bonzaï, l’équilibre est faussé. Nous ne remettons pas en cause le besoin de rénovation de la Place de la Cité, elle aurait dû se faire même s’il n’y avait pas eu d’échéances électorales. Mais les solutions pour protéger des arbres lors de travaux existent et semblent même plus économiques que de replanter. ****

C’est donc aux citoyens de s’approprier les arbres de leur ville. Toutes les municipalités dirigées par un maire ou une mairesse aux sensibilités de bûcheron industriel ont connu pareille dévastation. Les habitants de la Place du Tertre à Paris ou ceux de la Place de Lenche à Marseille en 2013 ont impulsé des mobilisations populaires pour défendre leurs arbres urbains. Les arbres ont été abattu- sous protection de la police – mais les élus locaux en ont payé le prix électoral. Au-delà de la lutte sociale, l’arbre et la nature urbaine sont sources de lien social. Sans être considéré comme un esprit animiste auquel on confit ses vœux comme en Asie du Sud-est (arbres à vœux), le potentiel de créativité autour de l’arbre est grand. Le Yarn Bombing avait fait son apparition à Rodez il y a quelques années. Les habitants végétalisent eux-mêmes leurs rues. C’est notamment le cas au Quartier des Embergues qui jouxte la Place de la Cité : du lierre et des roses trémières y sont plantés dans la rue. L’asso de quartier gère des jardinières partagées. Ailleurs en France, des étudiants lassés des politiques du tout-béton, conçoivent des mobiliers urbains qui valorisent et protègent les arbres des villes et renforcent les liens sociaux d’un quartier. C’est le cas du « cocon » à Grenoble : un banc circulaire et à étage enveloppant l’arbre et invitant le passant à s’arrêter et s’asseoir.*****

Ainsi la Mairie de Rodez fera les travaux qu’elle a décidé de faire. Les tilleuls seront abattus préventivement. Malgré les nombreuses qualités d’une ville végétalisée, c’est encore une gestion héritée des villes du XXème siècle qui prédomine à Rodez. Les zones boisées en ville ont toujours eu l’air suspect aux yeux des bourgeois. Ces zones non rentables à court terme offrant des loisirs gratuits aux classes populaires sont source d’une passivité quasi subversive. Bref, ce n’est pas très start-up nation. De toute façon, les comptes-rendus du comité de quartier que l’on peut trouver sur le site de la mairie ne disent pas si les habitants ont approuvé ou non ces travaux. C’est donc à nous de transformer nos quartiers, notre ville, les possibilités ne manquent pas, avec un peu d’audace, d’originalité… et de démocratie.

Guillaume HALB

Commentaire :

Ce sujet a été abordé à une réunion de quartier en présence du maire, le 12 juin dernier. Les services techniques de la ville assurent que les arbres de remplacement seront plantés à leurs tailles adultes, c’est-à-dire huit mètres, et leurs racines seront contenues par un système de fosses. La place de la Cité passerait de douze à quatorze arbres. Nous en prenons acte. On aurait pu cependant imaginer que l’investissement dans les nouveaux arbres aient profité à d’autres places de la ville qui ont cruellement besoin d’ombre, mais les tilleuls sont condamnés sans appel possible.

* fiche technique de l’arbre trouvé sur le site Rustica https://www.rustica.fr/tv/sophora-japon-sophora-japonica,5455.html consulté le 10 juin 2016

** l’étude a été fait par des chercheurs de l’Université de Colombie Britanique, elle est citée dans cette vidéo https://www.youtube.com/watch?v=NAo2syms2Gk

*** enquête menée par exemple par l’Institut nationale de santé du Québec https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1274_EspacesVertsUrbainsSante.pdf

**** https://www.arbre-patrimoine.fr/amenagements-paysagers/protection-arbres-avant-travaux/

***** http://www.notredame-grenoble.org/medias/files/panneau-rue-barnave.pdf

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2 commentaires sur « L’arbre dans la ville »

  1. Super article, très bien documenté … ll est bien entendu regrettable que cette contribution au débat public ne soit pas entendue et discutée.

  2. il y a des villes moyennes près de chez nous qui font aussi des rénovations du centre ville et qui laissent en place les arbres qui assurent une promenade ou un moment de repos ombragé, en prenant le soin de laisser autour de l’arbre un espace avec de la terre afin qu’il puisse continuer à VIVRE; voir CASTRES…..
    Pour rénover les centres villes il faudrait peut-être penser qu’il y a des gens qui y vivent ……..Mais pourront-ils y rester si avec les rénovations, les loyers augmentent, les baux des magasins???
    Un chœur de ville tout NEUF, sans animation conviviale à l’attention de tous, sans espace vert, ombragé….est-ce bien nécessaire?

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