Christian Teyssèdre et l’Estivada, le triomphe de la médiocrité (Danís Chadeuil)

   On eût pu dire « les masques tombent » concernant le maire de Rodez et son souhait désormais affirmé d’une inclinaison tout à fait différente pour l’Estivada. Chacune des composantes de son sous-titre, « Festival interrégional des cultures occitanes » avait de toute façon disparu, l’une après l’autre, sous son règne.

   Mais Christian Teyssèdre est… eh bien Christian Teyssèdre. Aussi, rien de ce qui est rapporté dans Centre Presse / La Dépêche par la plume de Mathieu Roualdès sous le titre « La Ville veut voir bien plus grand que l’Estivada cet été » (26 janvier 2022) ne saurait étonner l’habitué, le ruthénois, l’occitaniste, le curieux ou n’importe quel professionnel de la culture du territoire, déjà familier de l’appétence extrêmement parcimonieuse de l’élu en matière culturelle.

   Tout au plus peut-on se réjouir qu’il n’essaye même plus d’avancer masqué, dissimulant jusqu’ici à grand-peine son désintérêt, son mépris, pour la culture occitane au cœur du festival, et plus largement pour toutes les cultures invitées régulières de l’événement. Non, le voilà qui « assume » – un concept à la mode dans sa (nouvelle) famille politique. Il avait voulu tordre le cou des rumeurs qui, depuis 2009 (!) l’accusaient de vouloir torpiller l’Estivada, il n’en a désormais plus besoin. Et tant pis si les prophéties le concernant se réalisent, le syndrome de Cassandre ira bien se faire voir ailleurs.

   On sait désormais ce qu’il ne veut plus – encore une fois ce n’est ni une surprise ni un mystère – mais que veut-il, le divin édile ? Il lorgnerait vers Albi et Pause Guitare, Marmande et Garorock, Bourges et son Printemps… la liste est longue, n’en jetez plus. Il conviendrait dans un premier temps de l’informer que strictement aucune des références festivalières qui semblent hanter son esprit ne sont en régie municipale directe, le régime (controversé) sous lequel il avait voulu continuer de déployer l’Estivada, après ses brouilles avec une ancienne équipe (associative, comme à peu près partout) qui l’accusait de vouloir les flinguer et le festival avec. La double détente fût un peu longue, le résultat est là nonobstant et le cadavre froid comme il se doit. Ni fleurs, ni couronnes.

   Il y a bien évidemment quelque chose de paradoxal à vouloir un événement pour sa ville, une singularité programmative au cœur de l’été, une bouffée spectaculaire à même de faire rayonner le nom de Rodez au-delà des frontières aveyronnaises… en copiant ce qui se fait partout ailleurs. Quel idéal ! Fini l’espace- temps de rencontres, d’échanges, la « petite » programmation de spectacles plus intimistes mais ô combien bouleversants, l’investissement mesuré des possibilités d’accueil dans les divers lieux de la ville. Non, ce sera trois soirs, trois concerts par soir, un seul et même lieu, et de la « tête d’affiche » s’il vous plaît, quoi que cela veuille dire. Comme dans d’autres villes moyennes où l’on parachute la scène, la sono, les artistes dessus, on remballe après le rappel, merci bien et à l’année prochaine. Un joli soufflé d’été, chaleureux le temps que ça dure, mais très vite retombé, sans aucun souvenir du goût. Pas sûr que ce soit ce dont Rodez, pas spécialement un modèle de dynamisme culturel en comparaison d’autres villes de taille équivalente, a besoin.

   Le voilà qui réclame de la renommée, mais comment construire une renommée sans se singulariser, se pluraliser ? Cette singularité, la carte occitane, lui a été offerte sur un plateau d’argent, par un festival qui fonctionnait bien, à rayonnement et financement interrégional, avec une claire ouverture sur le monde, qui a même participé à la vie politique du pays, en étant citée à l’Assemblée Nationale, ou en accueillant un président du Sénat, des ministres de la Culture, et tous les ans des journalistes ou des publics venus de partout dans le Monde. Certes, cette renommée était mesurée, dans un pays où la langue et la culture occitanes n’ont que peu de visibilité et encore moins de reconnaissance ; c’est presque un autre – et vaste – sujet. Malgré cela, l’Estivada faisait des miracles !

   Désormais, quel renom compte-t-il acquérir pour lui ou sa ville en produisant rien qui ne sorte vraiment de l’ordinaire, rien qui n’éveille les curiosités, rien qui n’ébranle finalement les esprits ? Pourquoi parler de Rodez si on peut parler d’Albi qui fait la même chose, depuis plus longtemps donc forcément mieux ? Le plus drôle étant évidemment que les représentants des festivals qu’il cite en exemple lui ont manifesté leur incompréhension à le voir ainsi abandonner ce qui faisait le sel du festival dont il a la charge… Encore une fois, il n’écoute ni ne comprend.

   Christian Teyssèdre semble garder en tête le souvenir ému du récent concert du 14 juillet, qui avait accueilli aux Haras plus de 10 000 personnes. Il a trouvé un mètre étalon. Sans rechercher un effet compétition qui ne profitera à rien ni personne, signalons que l’Estivada avait pourtant déjà fait plus et mieux, citons au hasard 2012 avec au moins 2 concerts ayant largement dépassé ce score et une semaine plus fréquentée que les Francofolies cette même année (tiens, une autre de ses références…), sans toutefois avoir les honneurs de la presse nationale, ce qui aurait normalement dû pousser un bon maire, normalement constitué, à monter au créneau et questionner cette lacune. Trois conclusions s’offrent à nous ici : sa mémoire n’est, comme sa culture, pas bien vaillante, la cohérence ne l’étouffe pas… ou bien ça n’est pas vraiment le problème, qui résiderait donc plutôt dans une forme de « haine » du fait occitan. Certains, à commencer par ses propres habitants, apprécieront.

   Un autre élément semble corroborer cette impression : l’Estivada coûtait trop cher lorsqu’elle faisait des spectacles en occitan, c’était un de ses griefs, encore qu’assez peu étayé et argumenté. Maintenant qu’on se débarrasse des patoiseries enfermantes on va doubler le budget, et vous allez voir ce que vous allez voir.

   Au passage, à la suite de la réaction indignée de Claire Fita, vice-présidente à la culture de la Région Occitanie, Christian Teyssèdre se dit « scandalisé » et argue que « [la région] a baissé de 40% sa subvention au festival et que l’État aussi s’est totalement désengagé » (in Festival occitan l’Estivada : la Région dénonce le nouveau projet du maire de Rodez par Nicolas Albrand, sur France 3 Occitanie). C’est vrai et c’est à la fois, au choix, un aveu d’incompétence ou un immense payage de tête. Les régions se sont en effet désengagées financièrement de l’Estivada, après sa reprise en régie directe puisque les garanties d’interrégionalité n’étaient plus réunies. Quoi qu’on en dise, l’occitanité du festival, pourtant sa raison d’être, avait ces dernières années diminué comme peau de chagrin. Et c’est cette occitanité qui motivait les aides et apports des autres collectivités, régions et État en première ligne. Rien d’autre, donc, que le fait que l’Estivada valorise l’expression culturelle occitane. Sous-entendu : certainement pas parce que c’était un « bête » festival. Autrement dit : Christian Teyssèdre se plaint d’une diminution de moyens qu’il a lui-même organisée. De la même manière, il « oublie » malencontreusement la crise du COVID, il oublie aussi le fait que la communication du festival est, depuis sa reprise en 2016, en totale déshérence (il n’y a jamais eu de site internet, le programme complet était diffusé 2 semaines avant et tant pis pour ceux et celles qui viennent de loin), pour regretter le fait que le public se réduit d’année en année. Qui veut tuer son chien…

   Finalement, on se dira que le plus navrant dans son « nouveau » positionnement c’est véritablement son absence affichée d’idées et d’ambition. Tout ce qu’il trouve à proposer c’est un nivellement par le bas, un bling-bling spectaculaire, onéreux et sans intérêt réel, dont le seul argument réside dans une maxime promotionnelle : « du jamais vu ici ! » Et en jouant ainsi l’élite provinciale satisfaite du peu qu’elle sait faire, il méprise aussi ses propres administrés, sans parler du geste obscène envoyé à la face de tous les gens dans ce pays qui s’emploient à promouvoir ses langues minoritaires ainsi que ses productions culturelles.

   L’Estivada ne s’est jamais réduite à la simple question d’être ou ne pas être occitan-e. C’était aussi et surtout une manière de faire se rencontrer publics et acteurs, d’aider des artistes à exister, de « rendre un territoire confiant dans [sa] richesse » comme le dit assez justement Sarah Vidal. La médiocrité triomphante en aura décidé autrement.

Danís Chadeuil

Ancien membre de l’équipe de l’Estivada (2009-2015)
Auteur d’un mémoire et de travaux universitaires sur l’Estivada et les festivals occitans Acteur culturel

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